Voyages au Pays de la Magie : Michel Haillard et sa tribale poursuite.

Stéphane Malysse & Henri Michaux

“Comment vivre sans inconnu devant soi ?”

René Char, Fureur et mystère, 1962.

 

   Souvent ailleurs, Michel Haillard est avant tout un acheteur invétéré, un accumulateur né et assembleur de génie : grand collectionneur d’objets exotiques et de peaux de mille-bêtes, il transforme en Art tout ce qu’il touche, et nous emporte avec lui dans des Pays à la fois imaginaires et bien concrets, à en juger des objets qu’il nous offre en pâture… Dans ces safaris mobiliers, sa vision artistique transforme, comme par magie, une antilope en commode, un zèbre en fauteuil et un zébu en chaise. C’est un amant de la beauté de la Nature et de sa diversité. Profondément écolo-chic, son œuvre est une ode à la richesse des matières vivantes et minérales, un hommage à l’Autre Nature de l’Homme.

   De fait, l’artiste a vécu très souvent Ailleurs : deux ans dans la Montagne Sacrée, à peu près autant au pays de la Magie, un peu plus dans les grandes steppes du Nord et un peu moins à Paris. Ou beaucoup plus. Les dates précises manquent. Les objets sont déjà imaginés, fabriqués et patinés et portent tous des noms qui viennent de loin, des tribus les plus sauvages et oubliées, des civilisations disparues et réinventées : Mathmata et Nanouk des Grandes Plaines du Nord de l’Asie, Zigloo et Zebulon des vastes prairies du Kenya, Abraham et Faustina de Mésopotamie, Apophis et Moktar des villes encore oubliées…

  Les pays ne lui ont pas toujours plus excessivement. Par endroits, il a failli s’y laisser apprivoiser (à moins que ce soit le contraire). Pas vraiment. Les pays on ne saurait assez s’en méfier. Il est revenu chez lui, les valises pleines à craquer… afin de se mettre au travail et retrouver l’univers envoûtant et ensorcelant de son atelier.  Il n’a pas une résistance infinie. Certains ont trouvé ces pays et leurs choses rapportées un peu étranges… Cela ne durera pas. Cette première impression passe déjà.

Chassez le Naturel, il reviendra au galop sous la forme d’une chaise longue comme un crocodile, d’une commode de Gnou ou d’un buffet d’Autruche… L’artiste est un chasseur d’exotismes qui retraduit ainsi le Monde et ces divers peuples, l’Autre et ses artefacts.

  Grand Hurlu-Berlu et Gourou du Design tribal et contemporain,  Michel Haillard est toujours aux aguets, chasseur-acheteur de  nouvelles matières ou sur la piste d’une nouvelle pièce… Idéalisés comme des sculptures tribales, cousus comme des broderies anciennes et ornés de divers métaux précieux, les mobiliers oniriques de Michel Haillard semblent tout droit sortis de Games of Thrones ou autre série à la fois fantastique et ethnique.

   Empreints de Réalisme Fantastique, ces objets et accessoires sont des invitations aux Voyages, dans des contrées disparues et réinventées, à des expéditions dans des pays éloignés, sauvages et beaux…

   Ces pays, on le constatera, sont en somme parfaitement naturels : naturels comme la corne, l’os et la fourrure, naturels comme le bois, le cuivre et la présence de l’inconnu tous près du connu Derrière ce fauteuil Minousha, cette commode Vénus  et cet étrange Astragor, se cache un grand bricoleur d’ambiances et de matières, un voyageur-guérisseur toujours en harmonie avec son univers domestique, un artiste-cueilleur d’objet qui ne se laisser jamais prendre au piège de la matérialité…

   Créateur d’univers, Michel Haillard est un inventeur de chimères elles même transformées en Meubles de Salon, créations et créatures du monde animal, Hybridation et Création, Nature et Culture… Paradoxalement, son travail est tout autant plongé dans le réalisme concrétisant et l’anthropologie matérielle que dans les méandres de sa géographie imaginaire et planétaire. Claude Lévi-Strauss aurait certainement vu en lui cette « âme bricoleuse » de l’artiste des tribus indiennes les plus lointaines. Car il faut se rendre à l’évidence, dans une inversion caractéristique des mondes oniriques, le sauvage c’est  bel et bien lui : Michel ! Sa tribale poursuite est une chasse gardée, une transformation de la vie en art, de l’imaginaire en objets que oniriques et onéreux… Allez…

Laissez vous emporter au pays de la Magie…

 

Stéphane MALYSSE,
Artiste et anthropologue.
Vit et travail à Sao Paulo.